Entretien de Communication InterPersonnelle

TORAILLE Marie
Retranscription de l’entretien
L’interview de M. Christian Fournier, photographe professionnel, a eu lieu une après-midi, chez lui.
 

M. T. : Pour commencer, quel type de photographe êtes-vous ?

 
Christian Fournier : Je suis photographe indépendant avec comme statut fiscal les Agessa, c’est-à-dire que je ne peux vendre que les droits d’auteur, je ne peux pas vendre mon travail de tirage sur papier ou de retouche, il faut que ce soit des photos que j’ai prises moi-même et dont je revends les droits d’auteurs à mes clients.
 

M. T. : Et vous faîtes de tous types de photos ?

 
C. F. : Oui, presque, je fais de la mode, de la pub, du reportage et des objets.
 

M. T. : Et comment et quand vous est née cette passion pour la photo ?

 
C. F. : Quand j’étais jeune j’avais deux passions, la photo, et les mathématiques. J’ai été prof de maths brièvement mais le système de l’éducation nationale était tellement nul là où j’étais, qu’après un an j’ai vu que c’était impossible de continuer dans cette voie avec des idiots partout autour de moi qui étaient là pour encore quarante ans, ça allait être l’enfer toute ma vie, je suis reparti sur mon autre passion : la photo. J’ai cherché une école de photo en France, il n’y avait rien, que des vieilles écoles dépassées, où ils ne voulaient même pas entendre parler du flash parce qu’ils ne voulaient enseigner que la photographie traditionnelle, alors qu’en Angleterre, tout le monde travaillait déjà flash, je suis donc parti en. J’ai fait une école de deux ans à Reading, Bershire où, déjà à cette époque, ils aidaient leurs étudiants à trouver des jobs. Une école à cette époque-là en Angleterre, contrairement à la France, était liée à l’industrie et formait des gens pour les aider à trouver du travail, ce qui n’avait rien à voir avec la France où ils formaient des gens pour la théorie et rien d’autre. Alors là-bas j’ai trouvé du travail, puis une place s’est présentée d’assistanat en Californie, je suis parti et je n’ai jamais regretté. J’ai été assistant en Californie pendant trois-quatre mois, puis rapidement je me suis mis à mon compte, et là, vu que c’est un pays intelligemment fait pour le business, quelques mois après je roulais déjà sur l’or, des clients partout, vive la Californie !
 

M. T. : Donc vous avez quand même été embauché par une entreprise au départ ?

 
C. F. : Au début oui, les quatre premiers mois, puis je suis devenu photographe indépendant, complètement indépendant et je suis toujours resté photographe indépendant. J’ai fait une seule erreur de carrière : à un moment j’ai accepté un boulot d’un français, une belle ordure, pour revenir en France et m’investir dans une expédition de recherche archéologique sous-marine qui n’a pas marché, parce que la plupart de ces gens-là étaient des crapules et je ne le savais pas. Et je me suis retrouvé ruiné, SDF à Paris, y a quinze ans et là ça a été bien dur et bien triste, et puis j’ai finalement réussi quand même petit à petit à remonter le coup.
 

M. T. : Et donc, selon vous quels sont les avantages et les intérêts de ce métier, et les inconvénients aussi ?

 
C. F. : Alors, y a les deux, bien entendu. Moi ce que j’aime bien, c’est que je suis « freelance », c’est je suis libre, j’accepte du travail de mes clients, si cela ne me plaît pas je peux dire « bah non cela ne me plaît pas, je ne le fais pas », auquel cas je ne mangerai pas, mais bon, il se trouve que je mange, et que j’ai beaucoup de clients très sympathiques, il y a aussi des cochons, il faut donc décanter ces choses-là au fil des boulots. Je suis libre, c’est moi qui gère mon business, si je travaille mal, je gagne pas ma vie et bien fait pour moi, si je me lève de bonne heure et je fais tout ce qu’il faut intelligemment, si je suis vigilant, si je me mets à jour constamment, si je me remets en question selon les modes et la conjoncture, et que ça marche, tant mieux pour moi. Quand cela marche cela peut marcher très très bien, on peut bien gagner sa vie, c’est dur parce qu’y a de la compétition, surtout par internet,ou c’est très facile d’être mis en compétition avec cinquante autres photographes dans les dix secondes, c’est le premier ou le meilleur qui répond, qui a le boulot. Et puis y a toujours beaucoup d’investissements à faire. Regardez j’ai été obligé d’acheter un deuxième écran, 30 pouces, à 2300€. Je suis obligé car mes collègues ont aussi du bon matériel et le client n’est pas idiot. Mais moi, faire de la photo, c’est ma passion, et j’en vis, et je trouve que c’est déjà énorme, fabuleux même, et je plains les gens qui vont au boulot en se disant « y a encore huit heures à tirer », je trouve qu’ils ont tort, il faut se magner l’arrière-train pour faire des choses qui nous plaisent, sinon c’est un peu rater sa vie, moi je trouve, enfin bon, chacun fait ce qu’il veut, ce qu’il peut.
 

M. T. : Et donc pour les inconvénients, surtout la compétition ?

 
C. F. : Les inconvénients c’est que je ne sais pas ce que je vais gagner le mois prochain, je ne peux pas vous dire si le mois prochain je vais gagner 10 euros ou 10 000 euros. C’est la complète insécurité. S’il y a par exemple, une menace terroriste ou les élections qui vont bloquer tous les crédits parce que les gens ont peur, cela peut beaucoup nuire à mon activité. Je ne peux pas me lever le matin en me disant « c’est pas grave mon patron va me payer. Aussi, si je suis malade, je ne vais rien gagner. Je ne peux rien acheter de lourd parce que les banquiers n’aiment pas les gens comme moi qui sont « freelance », dont le revenu est incertain. C’est un inconvénient, mais je l’accepte, cela fait trente ans que ça dure, j’ai survécu, donc je n’ai pas à me plaindre.
 

M. T. : Et vous faîtes tous types de photo, mais est-ce qu’y en a un que vous préférez, enfin qu’est-ce qui vous plaît le plus ?
 

C. F. : Je fais de tout et moi, je n’y peux rien, mon esprit est comme ça, je n’aime pas faire la même chose tout le temps. Quand ça devient répétitif, par exemple, photographier des jolies femmes, c’est très bien mais après quinze jours de photographie de jolies femmes, s’il y a un boulot en industrie, des grosses machines qui fument de partout, je suis très content. Et après quand j’aurai fait ça pendant une semaine, je serai très content de faire autre chose, dans l’événementiel ou autre, j’adore la variété. Commercialement cela n’est sans doute pas bon mais intellectuellement je trouve que c’est super. Commercialement cela n’est pas bon parce qu’en France les agences de pub aiment bien pouvoir vous mettre une étiquette : untel, tel photographe, lui il fait des photos culinaires supers avec les grains de riz éclairés par-derrière, c’est magnifique, quand on a besoin de ce genre de visuel, on va chez lui. Enfin bref, moi c’est très dur de me mettre une étiquette ce qui fait que c’est plus dur commercialement, mais intellectuellement c’est pour moi, beaucoup plus intéressant, je n’aurai pas pu passer trente ans à photographier les mêmes choses, chacun son truc.
 

M. T. : Et est-ce que tout au long de votre carrière, le sujet des photos ou la technique pour prendre les photos a évolué ou… ?
 

C. F. : Ah énormément, oui forcément avec le numérique tout a été chamboulé, on est obligé d’apprendre à fond le traitement numérique pour modifier l’éclairage en conséquence parce qu’il y a maintenant des choses qu’on peut très facilement avec une demie-seconde sur photoshop alors qu’avant il aurait fallu deux heures pour ré-éclairer l’objet proprement. Et inversement, y a des choses qu’il faut continuer à faire à la prise de vue puisqu’on peut pas le faire en post-production, il faut connaître les deux pour être performant. Et se maintenir au courant constamment, car l ‘évolution des logiciels est constante : Photoshop, Bridge, LightRoom, Aperture, DXO, iView, Nikon Capture, Sticher, FotoStation Pro, etc..
 

M. T. : Mais quand vous étiez encore à l’argentique, vous développiez les photos et tout ou… ?
 

C. F. : Oui bien sûr, j’ai toujours développé toutes mes photos moi-même, y a des labos aussi qui font ça aussi, mais moi j’ai toujours tout fait moi-même, même le développement couleur C41, E6 et Cibachrome. Je fais toujours toutes mes photos moi-même, j’apprends les logiciels, je m’éclate parce qu’il y a de très bonnes choses, ça coûte, ça prend du temps, mais c’est passionnant.
 

M. T. : Mais du coup est-ce que ça vous a permis de prendre plus de clichés et après de faire le tri… ?
 

C. F. : Oui, bien sûr, en numérique, on prend plus de photos, ça ne coûte pas plus, donc forcément on en prend plus, et on en abuse souvent, pour pouvoir choisir les meilleures après. L’avantage c’est qu’on voit la photo tout de suite et on peut faire varier un petit peu l’éclairage à gauche pour un quart de diaph, voir une différence, donc on en fait aussi plus, ce qui fait que les clients demandent plus, ce qui est normal. On gagne du temps d’un côté, parce qu’il n’y a plus à développer les polaroïds et qu’on peut faire plus de photos, mais d’un autre côté, le client a tendance à vouloir aller plus loin …., On doit obtenir des meilleures photos.
 

M. T. : Du coup c’est un métier qui a dû beaucoup changer ?
 

C. F. : Oui, le métier a beaucoup changé, ceux qui ne se sont pas adaptés sont morts ou vont mourir, même s’ils ne le savent pas encore, c’est obligatoire, Darwin, la survie du mieux adapté. Le numérique est là, il est là pour durer, c’est clair et net, donc on l’apprend à fond ou on fait autre chose.
 

M. T. : Et sinon, est-ce que vous êtes amateurs de photographes célèbres en particulier ?
 

C. F. : Non, y a des choses bien chez tous les photographes. Y a des gens qui commercialement ont été très très bons, sinon ils ne seraient pas connus, y a d’autres photographes qui ont été très très bons aussi mais mauvais et sont passés dans l’oubli.
 

M. T. : Mais votre passion n’est pas du tout née d’un photographe en particulier ?

 
C. F. : Non, y a pas un seul photographe que j’ai révéré à fond, il y a des petites choses bien chez tout le monde, Cartier-Bresson a fait des trucs magnifiques, Edwards Weston, Yann Arthus-Bertrand aussi, David Hamilton a fait des très belles choses quand j’étais jeune mais j’ai jamais eu de héros photographe. Je vois de bonnes photos partout.
 

M. T. : Donc, vous avez pu faire pas mal de voyages du coup grâce à la photo ?
 

C. F. : Oui, vu le type de photos que je faisais, surtout quand j’étais plus jeune, j’ai voyagé énormément, j’ai sillonné le monde entier, de droite à gauche et de gauche à droite, je suis allé quasiment partout, du pôle Nord à la Chine, en Amazonie… J’ai aimé beaucoup de choses, je suis allé en Alaska en hiver, comme en été et j’ai toujours aimé, le Canada aussi. Il y a aussi d’autres choses passionnantes : la Californie où j’ai vécu quinze ans c’est un petit paradis … Beaucoup de choses passionnantes, j’ai fait beaucoup de photos sous-marines, donc ça m’a amené aussi dans toutes les mers du globe et là aussi y a des choses à voir. Et puisque la plupart de ces choses-là vont disparaître, car le monde s’uniformise, les gens commencent à manger les mêmes choses un peu partout, à produire et acheter les mêmes produits et à mon avis cette tendance-là est irréversible. Mais on disait déjà ça il y a 600 ans ….
 

M. T. : Mais y a pas de pays qui vous ont plus plu, particulièrement ?
 

C. F. : Ah, tout m’a plu, c’est sûr, quand on se retrouve au Vanuatu en train de photographier des tribus indigènes, on se dit quand même, c’est magnifique, et puis après on se rend compte qu’ils ont des T-shirts Nike et du coca-cola dans la hutte derrière… Bon, mais y a pas de mal à ça.
 

M. T. : Est-ce que vous avez vu une différence sur un pays par exemple, y a trente ans, où vous êtes retournés depuis et où ça aurait changé ?
 

C. F. : Oui, oui effectivement. Je suis allé plusieurs fois sur l’île de Sipadan à Bornéo et là rien n’a changé, c’est quand même intéressant de voir que vingt ans après, tout est pareil. Y a d’autres choses qui ont changé énormément, Kuala Lumpur par exemple, j’y suis allé il y a trente ans et il y avait juste des vieux temples avec des singes en plein milieu de la jungle. J’y suis retourné il y a quinze ans, c’était une ville gratte-ciels, vert et béton magnifique et extrêmement moderne, le tout en quinze ans. L’Asie change énormément et très rapidement… Et c’est passionnant à voir, et puis tant mieux pour eux, y a pas de raisons qu’ils restent dans la forêt vierge toute leur vie, les Européens l’on fait plus, c’est leur tour et ils ont bien raison.
 

M. T. : Mais du coup vous devez avoir du mal à photographier des paysages plus naturels ?

 
C. F. : Oui les clichés habituels disparaissent... J’ai fait un reportage sur les Massaïs y a six mois en Tanzanie et le guerrier avec son fer de lance, sa robe colorée, en plein désert avec ses vaches, il avait un téléphone portable alors quand on fait la photo on dit « vous pouvez pas cacher votre téléphone portable s’il vous plaît ». Ca fait moins cliché mais bon, c’est vrai que dans le desert, c’est bien mieux qu’il ait un téléphone portable, pour appeler le médecin et savoir où sont ses enfants, bien sûr.
 

M. T. : Et quels sont vos derniers et vos prochains projets ?

 
C. F. : Je reviens d’Inde, j’ai fait de nouvelles photos, j’ai fait une exposition, et je vais en refaire une autre, plus travaillée. Autrement, j’ai comme projet de faire d’autres photos sous-marines à Truk où il y a beaucoup d’épaves qui ont été coulées après Pearl Harbor, ça, c’est magnifique c’est un de mes projets perso, puis autrement tous les boulots commerciaux habituels, de l’industriel de la mode de la pub...
 

M. T. : Et pour les photos sous-marines, c’est une technique différente ?

 
C. F. : Cela reste de la photo, mais oui, il faut tout réapprendre, les techniques ne sont pas les mêmes… Vous mettez un très bon photographe terrestre sous l’eau, ses premières plongées, il ne va rien sortir d’utilisable, mais ça s’apprend, c’est comme quelqu’un qui fait des supers photos de studio vous le mettez dans un avion pour faire des photos aériennes, il ne va peut-être rien sortir. Y a des spécialisations évidemment, y a des gens qui sont très biens avec l’objet et dès qu’il y a des gens ils savent plus, parce que manipuler des gens et manipuler des objets c’est pas la même chose… et inversement bien sûr. Moi j’ai la chance de pouvoir faire tout, je change de casquette sans problème. Quand je photographie un séminaire, je ne fais pas les mêmes photos si je travaille pour l’agence d’événementiel qui a fait l’organisation et la mise en place, que si je travaille pour le client final. L’agence d’événementiel veut montrer ses beaux décors, mais n’a pas besoin de chaque orateur. Le client final tient à voir tous ses dirigeants sur scène. C’est juste un exemple…
 

M. T. : Et sinon oui, est-ce que vous avez une semaine type en particulier ?
 

C. F. : Non, cela varie tout le temps, c’est ça qui me plaît bien, y a toujours des surprises, ce matin, j’ouvre mes e-mails, et je vois par exemple trois demandes, pour aller photographier une usine d’extrusion de plastique à Amiens, puis un shoot de beauté pour des crèmes... Il y a des devis qui reviennent signés pour des événementiels, un congrès international en Croatie une semaine entière au mois de mai pour L’oréal. Il y a toujours beaucoup de choses, je ne sais jamais ce qui va tomber, j’ai la chance d’avoir une bonne notoriété, car je fais de bonnes photos, j’assure quoi qu’il arrive, et donc ça va, j’ai pas à me plaindre.
 

M. T. : Et quand vous êtes en reportage ça se passe comment, au niveau de l’emploi du temps, tout ça ?

 
C. F. : Il faut apprendre à gérer l’emploi du temps, c’est peut-être le plus dur. On accepte un boulot, on s’engage et puis si trois heures après, il y a un autre coup de téléphone d’un boulot encore plus intéressant, qu’est-ce qu’on fait… Si on veut être respectable, on est obligé de dire non au deuxième boulot, sinon on est plus crédible … Il faut gérer ça… Et puis après, il y a les réparations, les maintenances et la post-production qu’il faut prendre en compte, qui est pas négligeable, on passe beaucoup de temps à faire réparer ou acheter son matériel, apprendre le nouveau logiciel, à traiter les photos, à mettre à jour son site web, à faire la bureautique, moi la paperasse ce n’est pas mon truc, surtout en France…



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