SOUS LE PAQUEBOT FRANCE

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TEXTE ET PHOTOS : CHRISTIAN FOURNIER


Les arbres d’hélice ne tournaient pas rond. Le commandant Hodowick m’a demandé de photographier les ébréchures pour évaluer les dégâts. Un canot de sauvetage est mis à ma disposition et à l’eau, tout à l’arrière du navire. Le majestueux PAQUEBOT FRANCE est au mouillage au large de Saint Thomas, îles Vierges Américaines, dans les Caraïbes. Le panorama est splendide : ciel bleu, mer bleue et limpide, la ville de Charlotte Amalie se dessine, blanche et rouge, sur la côte. Le chef ingénieur a été bien briefé : pas de mouvement brusque des hélices pendant l’heure qui va suivre, mais elles doivent toujours rester en stand by : un tour par minute.
Muni de mon fidèle assistant et buddy Greg Hellman, un Anglais solide, et de deux systèmes : Nikonos V avec 15mm (le Nikonos RS n’a toujours pas de vrai grand angle) et SB 104 d’un coté et Nikonos V avec 28mm plus lentille macro et SB 104 de l’autre, je saute du canot. Juste à temps pour apercevoir 3000 têtes qui nous observent depuis les douze ponts : les quelque 2400 passagers et 900 membres d’équipage, curieux et oisifs (surtout les passagers), pour tuer l’attente qui précède toujours l’autorisation gouvernementale (douanes et immigration) pour aller à terre. Moi je ne vais pas à terre mais sous le bateau.
Bon, il y a du courant, il faut pédaler dur pour rester près de l’hélice. Le courant va bien sûr de l’avant à l’arrière du bateau, puisque celui ci est au mouillage. Nous sommes donc constamment entraînés et éloignés du paquebot.
La visibilité est bonne pour un port aussi actif : environ 20m. Mais à part la masse impressionnante du navire en face de nous, il n’y a rien d’autre que du bleu profond, évidement pas de récif, pas de poissons. Le commandant m’a dit que le fond était à 27 mètres. Le tirant d’eau du navire n’est que de 13 mètres, l’équivalent de 5 étages. Je glisse rapidement vers le fond, histoire de voir le bateau au-dessus de moi. Pas assez de visibilité pour voir le bateau en entier dans sa longueur, évidement, mais tout l’arrière est bien visible et je me sens minuscule en dessous de cette bête gigantesque. J’entends le murmure des moteurs et alternateurs, en marche 24 heures sur 24. Je suis ému. C’est un moment magique, beau et angoissant. Mais je ne peux contempler ce spectacle très longtemps car le courant m’entraîne trop loin des hélices. Je dois travailler dur pour m’en rapprocher. Je fais des photos au grand angle de Greg près des hélices, en contre plongée (sans jeu de mots !).
Puis, le but de notre mission : photographier les ébréchures des hélices. Je passe ma main gantée sur le pourtour et quand je repère un accroc, je le photographie proprement, en macro, en incluant la petite règle graduée dans le champ et je dessine la position de l’accroc sur mon ardoise en mentionnant les numéros des photos correspondant. Il y a une vingtaine d’ébréchures sur les huit pales. Le courant nous pousse toujours fortement et nous devons tout faire avec une main accrochée à l’hélice. Quand j’ai besoin de mes deux mains pour le crayon et l’ardoise, Greg me retient par le col du gilet. C’est un peu compliqué pour le repérage car l’hélice tourne d’un degré par seconde. Heureusement je peux utiliser quelques grosses ébréchures comme jalons. C’est un travail de géométrie plus que de photographie. La macro photo sous l’eau est assez facile, grâce au cadre de visée. J’utilise un film à grain fin, du 50 ASA et fais souvent deux photos avec deux expositions différentes (d’un demi-diaphragme) quand le sujet n’est pas parfaitement plat et uniforme, car l’exposition flash TTL a ses limites. Je tiens l’appareil d’une main et le flash de l’autre, pour ne pas shooter et éclairer dans le même axe pour éviter d’illuminer les particules en suspension devant l’objectif.
Nous entendons sous l’eau le ronronnement des "tenders", petites embarcations (petites par rapport au paquebot, car transportant quand même 500 personnes d’un coup) qui amènent les passagers à terre, signe que les officiels ont fait leur travail. Nous ferons donc attention en remontant qu’il n’y en ait pas un en dessus de nos têtes.
Je refais surface et grimpe sur le canot pour recharger le Nikonos macro (une serviette de bain est l’outil indispensable pour cette opération mains sèches) et changer d’ardoise car je n’y ai plus de place. Je remarque que des membres d’équipage pêchent depuis l’un des ponts arrières qui leur est réservé, bien que j’aie demandé d’interdire cette pratique pendant l’heure où nous plongeons. Je redescends pour refaire les mêmes photos sur le coté verseau des hélices.
Puis nous photographions, au 15mm cette fois-ci, des anodes arrières soudées à bâbord et tribord, pour vérifier leur niveau d’usure. L’électrolyse est très importante dans l’eau salée, et le chef ingénieur se tient informé grâce aux photos.
Nous apercevons quelques bernicles accrochées sur un recoin de l’axe du gouvernail et en notons la position et faisons une photo. La peinture anti coquillage a dû disparaître de cette encoignure, ou n’a pas été bien appliquée.
Je ressens un picotement au bras : un hameçon vient de se piquer dans ma combinaison. Comme je tiens l’appareil photo, l’ardoise, la règle et le flash dans mes deux mains, je ne peux pas attraper mon couteau. Je fais signe à Greg qui ne voit sans doute pas le fil de nylon, car difficile selon sa position dans l’eau et ne comprends pas mes signes de coude et mains pleines (nous n’avons de signe sous-marin tout fait pour "un hameçon dans le bras"!) Je lui donne l’ardoise et la règle et réenclenche le flash sur la griffe de l’appareil et réussi à attraper mon couteau, juste à temps, car le gars du dessus commençait à remonter ferme, déchirant mon néoprène. Si j’avais eu les mains libres et des gants plus gros j’aurais attaché sa ligne à celle d’un autre pêcheur de l’autre coté, histoire de rire un peu et leur apprendre à mettre les bras des plongeurs à la merci de leurs hameçons.
Nous continuons notre rapport visuel et photographique : la coque est lisse et propre sauf quelques éraflures très superficielles. Par un trou rond sort avec force un jet d’eau très blanche. Ballast ? Eaux usées ?
Il n’y a aucun poisson et que du bleu infini tout autour du bateau. C’est très impressionnant. Du bleu et une énorme machine de métal. Je me sens petit et fragile. Privilégié aussi, de pouvoir plonger sous le plus beau paquebot au monde. Une plongée pas comme les autres.
Notre mission photographique est accomplie et il ne reste plus de film. Nous restons quand même sous le bateau jusqu’à ce que nos bouteilles soient vides. Difficile de se lasser d’un tel spectacle.



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